EXPE
Grand Inini

Descente d'une rivière reculée en plein coeur de la Guyane Française

LE PROJET

C’est une petite expédition aux grands airs d’exploration et d’aventure humaine que j’ai réalisé là-bas, aux confins de la Guyane. 

Exploration d’abord car il s’agit, en fait, d’un repérage terrain sur un secteur que je ne connais pas. Et ce repérage est essentiel avant d’envisager un projet plus conséquent. 

Enfin, l’aventure humaine dans une expédition est un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Alors cette fois-ci avec une si petite équipe, avec une logistique allégée, sans gros programmes scientifiques, ni tournage de documentaire, ni même de rencontres avec des populations locales, j’aurais bien plus de temps pour observer ces relations humaines se développer.

Voilà le plan

Nous sommes en Guyane française, nous partons de Cayenne en petit avion de brousse pour rejoindre le village de Saül. Seul lieu habité au beau milieu du territoire. À partir de ce point de départ nous rejoindrons la crique Limonade, une petite rivière que nous naviguerons en packraft et qui, au bout d’une vingtaine de kilomètres plein Sud, débouche sur la rivière Grand Inini. Là, ce seront ensuite 180 km à naviguer toujours en packraft, plein Ouest, pour rejoindre la frontière de la Guyane avec le Surinam. On terminera notre expédition là-bas, au village de Maripasoula d’où il nous sera possible de repartir en petit avion jusqu’à Cayenne. 

Cette longue traversée, où nous serons en déplacement tous les jours, permettra d’effectuer un grand transect scientifique où nous recueillerons le maximum d’informations suivant plusieurs protocoles programmés. 

La méthodologie générale restera simple, modulable et fiable pour s’accorder avec des observations occasionnelles et opportunistes. Cependant leur récurrence quasi quotidienne et la dimension considérable du transect pourront fournir des résultats pertinents sur cette expédition de repérage.

Quoiqu’il en soit, 200 km de rivières à traverser pour une durée maximale de 3 semaines peut paraitre simple à réaliser sur le papier. Impossible de se perdre ni de manquer d’eau, on suit les rivières du début à la fin. 

Mais nous sommes en saison sèche, il y a de forts risques que la navigation soit compliquée si le niveau de l’eau est trop bas ou que l’on tombe sur des orpailleurs clandestins. Enfin nous sommes en autonomie complète ce qui implique une rigueur logistique absolue sur le matériel et la nourriture embarqués. Puis nous sommes 5 personnes qui ne se connaissent pas toutes et qui ne sont pas non plus parfaitement expérimentées, mais seront j’ose l’espérer, responsables et complémentaires.

OBJECTIFS SCIENTIFIQUES

De manière exhaustive et opportuniste nous tenterons de procéder quotidiennement à toutes sortes d’observations et d’échantillonages scientifiques sur les 200km de forêts parcourues :

  • Tests de présence de chytride sur les grenouilles par analyse moléculaire.
  • Tests de présence de mercure inorganique dans les rivières par bandelettes d’autotests.
  • Poses régulières d’une caméra trap autour du camp.
  • Installations d’un piège à insectes à led UV autour du camp.
  • Système d’enregistrement à ultra sons pour identification des chauves-souris.

MINI LEXIQUE GUYANAIS

  • Aïmara : gros et féroce poisson carnassier de rivière que nous pècherons régulièrement.
  • Couac : semoule de manioc typique en Amazonie.
  • Crique : nom donné aux petites rivières de Guyane.
  • Dégrad : lieu de mise à l’eau possible sur une rivière, pas forcément pérenne, voire même disparu…
  • Garimpeiros : orpailleurs clandestins brésiliens. 
  • Packraft : embarcation gonflable d’expédition, type mini rafting individuel et non motorisé.
  • Saut : nom donné à un rapide sur un cours d’eau.
  • Touque : bidon étanche.

L'Équipe

Yanko

Lilie

LAO

Voici donc les profils de l’équipe qui m’accompagne : 

Yanko, fidèle ami voyageur qui m’avait entre autres rejoint en Guyane il y a 12 ans pour remonter le fleuve Maroni jusqu’aux mythiques monts Tumuc-Humac ; mais aussi sur un repérage en Amazonie équatorienne ou encore au Costa-Rica. Il a une certaine expérience des voyages engagés, reculés et surtout on se connait bien. Bricoleur il m’aidera sur la partie bivouac et en tant que sapeur-pompier je peux également compter sur lui en cas de pépins. Je sais que son point faible est la nourriture ainsi qu’un coude qui sort à peine d’une fracture mais son point fort est le calme et le dévouement.

Lao, artiste sculptrice et photographe, monitrice de rafting et prof de boxe thaï, je me demande quand est-ce qu’elle a le temps de dormir. Son point fort est une énergie débordante, sa forme physique et surtout ses talents de photographe qui lui feront accepter d’endosser cette responsabilité de photographe de l’expé. Le point faible est que l’on se connait peu en réalité car on s’est rarement croisés.

Lilie, botaniste que j’ai connu dans les Terres Australes Françaises où on travaillait ensemble et que j’ai embarquée par la suite dans mon expédition en Équateur. Son point fort est son approche scientifique et son esprit cartésien pour porter correctement les projets scientifiques prévus tout au long du parcours. Sa faiblesse est qu’elle est terriblement maladroite.

Key, benjamin du groupe et ami de Lao mais déjà expérimenté au terrain guyanais. Il travaille comme moi sur la déculturation des populations amérindiennes et réalise un documentaire en la matière. Il pourra justement assurer la prise de certains sons d’ambiance que je souhaite enregistrer pendant cette expé. Son point fort est sa motivation car à la suite d’une annulation de dernière minute il a réussi à saisir la place au pied levé. Point faible : son expérience fait qu’il risque d’être trop indépendant et surtout je ne le connais pas, à part quelques échanges en visio.

Enfin moi-même, porteur du projet. Pour me présenter comme je l’ai fait aux membres de l’équipe, je rassure d’abord sur une expérience conséquente dans des expéditions de toutes tailles ; une trentaine depuis une douzaine d’années. Gestion de groupe, du budget, des risques, des imprévus sont devenus mon travail quotidien et je vise cette fois-ci une expédition beaucoup plus simple. Il s’agit juste d’un repérage en petite équipe mais ô combien pertinent au niveau des multiples observations scientifiques que j’ai prévues. Point fort : je dois être quelqu’un de convaincant pour avoir ainsi fédéré toute cette équipe qui me suit, entre les partenaires, sponsors, autorités et membres de l’expé. Point faible : aucun.

Ah si, un autre point fort aussi : l’humour ! Évidemment que j’ai un paquet de points faibles et qui seront mis à rude épreuve lors de cette aventure. Je n’aurais pas le don d’ubiquité pour soutenir chaque membre de l’expé comme je le voudrais et je fais trop confiance aux gens comme j’attends qu’ils me fassent confiance en retour. Pour autant j’ai du mal à tout déléguer et malgré mon endurance, ma patience a aussi des limites.

Surtout j’ambitionne de créer un groupe qui se responsabilise, se complète, et s’auto-gère. C’est comme cela que je fonctionne à l’accoutumée, en mettant en place un environnement propice aux prises d’initiative individuelles qui laissent jaillir l’intelligence de chacun face aux problèmes. La motivation du groupe est ainsi boostée par les propres résultats positifs de chacun et un cercle vertueux se lance. À partir du moment où les membres de l’expédition sont déjà un minimum exercés à cette démarche de responsabilité stimulante, cela peut générer une belle confiance mutuelle entre eux et moi. Et avec si peu de monde dans notre équipe, tout le monde devrait facilement pouvoir trouver sa place et devenir important l’un pour l’autre. Il faut évidemment éviter que, dès le départ, les gens ne soient écrasés sous le poids du stress, de la fatigue, ou d’une blessure. Et cet aléa est difficile à prévoir. 

En tout cas, même si ce management fait rêver sur le papier, on n’y est jamais vraiment préparé et par défaut, facilité ou fatigue, on risque vite de retomber dans le schéma vertical classique des petits soldats qui suivent le chef ordonnateur. L’efficacité de ce système basique n’est plus à prouver : tout le monde peut se reposer derrière le chef et se focaliser sur son seul travail sans avoir à réfléchir. Mais je ne souhaite pas assigner des monotâches à chacun ni créer une distance désagréable et inamicale entre eux et moi. 

Cette expédition est ainsi pour moi l’occasion de m’attarder plus en détail sur ce sujet qui m’intéresse particulièrement, la psychologie du groupe et de tout un chacun. L’humain est l’essence même de l’expédition et cela me passionne de voir comment les gens se transforment, se révèlent, positivement ou négativement, et se découvrent de nouvelles ressources. 

Eh bien on peut d’ores et déjà dire que sur ce plan-là, je ne vais pas être déçu : l’expédition va être humainement très intense !

SOMMAIRE

L'arrivée en Guyane

L’atterrissage en Guyane à l’aéroport de Cayenne est spectaculaire. D’abord l’avion descend progressivement vers la frange Nord du continent sud-américain. Puis on découvre sous nos ailes que le grand atlantique laisse place à une mer côtière plutôt de couleur cannelle. Enfin on termine notre descente au-dessus des terres, entièrement recouvertes d’une large bande de forêt dense et moutonneuse qui s’étale jusqu’à l’horizon. Les dimensions infinies et spectaculaires de cette végétation aux mille dégradés de vert me mettent directement dans le bain : c’est là-dedans qu’on va devoir aller !

Et dès la sortie de l’aéroport je ressens à nouveau cette atmosphère chaude et enveloppante qui nous attendait. Certains suffoquent mais moi je retrouve ici le cocon réconfortant que j’avais découvert pour la première fois il y a 20 ans et que j’ai ensuite retrouvé une deuxième fois il y a 12 ans. Jamais 2 sans 3, me revoilà !

À Cayenne on prendra le temps, quelques jours, pour tous se réunir dans une maison d’hôte, au fur et à mesure des arrivées de chacun. L’occasion pour moi d’en profiter aussi et de retrouver de vieux amis installés ici ou encore de faire un tour au marché couvert, pour une petite madeleine de Proust : y déguster les fameuses et copieuses soupes asiatiques qui font la renommée du lieu au-delà de la capitale. On passera surtout du temps à domicile, dans le salon et sur la terrasse à refaire encore et encore nos sacs, dispatcher l’équipement entre tous et réviser l’utilisation du matériel, du plus basique au plus complexe. Accrocher un hamac dans un jardin semble facile ; en forêt, c’est très différent. Naviguer en packraft parait ludique mais il faut bien expliquer toutes les précautions nécessaires. Il en est de même que l’utilisation du contenu de la trousse de secours, de la balise GPS, de l’équipement scientifique, de la manipulation du réchaud à essence ou des panneaux solaires ou encore de la gestion de la nourriture et du matériel de bivouac… Tous ces cours que je dispense à l’équipe nous transportent déjà mentalement dans l’expédition à venir. L’impatience se fait sentir et le chant des oiseaux tropicaux du jardin ne cesse de nous le rappeler.

Je tente plus que tout d’éloigner les dernières craintes et sources de stress devant l’inconnu qui affectent particulièrement mes compagnons, tout autant que la notion de risque qui les perturbe tant : « Comment on va faire si on ne peut pas communiquer avec nos proches ? » ; « Si on n’a pas de bottes on va se faire mordre par les serpents ! » ; « On va naviguer comme ça, sans gilets de sauvetage ? » ; « Et le traitement antipaludéen ? »… Pour certains ce sentiment global d’appréhension les maintient, les retient, terriblement dans notre monde quotidien ; celui d’une société aseptisée qui rassure et endort, qui cultive le risque zéro, le sacro-saint « safety first ». Il est vrai que l’aventure fait rêver mais sa réalité est déstabilisante. La souhaiter est déjà culpabilisant. Même ceux qui pratiquent des sports extrêmes chez nous s’imaginent libres mais on se cache irrémédiablement derrière des cadres à ne pas franchir et des règles de sécurité intangibles. Les logiques procédurières sont devenues la norme et le déterminisme d’accusation des responsables, une doctrine conventionnelle. 

J’ai donc l’impression de devoir apprendre à des adultes fébriles comment conduire une voiture sans ceinture de sécurité ni GPS ! Je sens déjà qu’il ne leur sera pas facile d’accepter ici de changer de paradigme, de s’adapter à la réalité de la nature et de se fier à son bon sens.

Village de Saül

Quel nom incroyable pour commencer à situer ce récit d’aventure ! 

Saül résonne d’un exotisme étonnant et mystérieux, une sonorité presque universelle mais avec une prononciation à la française. Et c’est en se plongeant dans les cartes pour chercher ce village que l’on trouve son secret : ce lieu est un minuscule hameau d’Amazonie planté au beau milieu de la Guyane française, au milieu de nulle part. Tel un îlot perdu en plein océan végétal. Nous prenons toute la dimension de l’affaire en survolant pendant 1h, avec un petit avion de brousse, l’immensité de la forêt amazonienne jusqu’à arriver, après des centaines de millions d’arbres parcourus et sans logique géographique aucune, au dessus de cette bourgade isolée qui tranche dans la jungle opaque. Tel un camp militaire avancé à la surface d’une autre planète…

Saül revêt aussi un autre charme. On est tout de suite saisi par le calme des lieux ; de ses quelques maisons colorées regroupées entre les arbres, sans route, sans bruit, sans agitation. Il émane une sorte d’atmosphère apaisante, à la fois monacale et rurale. Elle rassure et invite à l’introspection tant la vie s’autocentre sur les quelques dizaines de locaux discrets, éparpillés ici, à mille lieux du tumulte du monde des villes. Les locaux de Saül respirent le bien-être justement. Une épidémie de sympathie et de bienfaisance semble toucher tout le monde et on a tout de suite envie d’être possédé par cette douceur de vivre et de passer du temps dans ce refuge.

Pour moi, une émotion tout à fait personnelle s’ajoute à nos déambulations contemplatives dans ce havre de paix. Celle de revenir en ces lieux 20 ans plus tard et réaliser avec émoi que rien n’a vraiment changé. En 2004 j’avais vécu en Guyane ma toute première expérience d’aventure amazonienne et de mission scientifique. Une révélation presque initiatique. Je rencontrais un univers à la fois géographique et professionnel ainsi qu’une solide vocation pour mon parcours de vie qui allait suivre. Durant 3 mois je découvrais avec les amérindiens Kaliñas, vers la partie littorale du pays, mes premiers carbets sauvages en sites isolés sur des cordons dunaires inaccessibles autrement que par la mer. On travaillait sur le suivi des tortues marines qui venaient pondre dans ces plages lointaines, coincées entre l’océan d’un côté et les marécages ou la forêt primaire de l’autre. Une part de vie intense dans le monde sauvage, au rythme des éléments, en autonomie complète et en contemplation totale dans ce nouvel univers naturel amazonien qui allait devenir mon graal. Et pendant cette mission de 3 mois j’avais bénéficié de quelques jours de congés que je n’ai absolument pas mis à profit pour me reposer ! J’en avais alors profité pour remonter en pirogue le fleuve Maroni depuis Saint-Laurent jusqu’à Maripasoula (où l’on doit justement terminer cette expédition), puis je m’étais envolé vers Saül pour y découvrir son univers ultra-forestier fascinant.

À l’époque ici j’avais accroché mon hamac dans un magnifique carbet excentré du village. Je me souviens encore de ma première nuit à la lisière de la grande forêt. Quelle intensité je découvrais alors derrière ma moustiquaire. Entre le concert animalier assourdissant qui s’échappait de la muraille végétale sombre et la nuée féérique de lucioles qui voletaient entre les quelques dernières gouttes de pluie du soir… Une poésie nouvelle pour moi, brute et extasiante. Quel ne fut pas mon étonnement quand j’ai réalisé une fois sur place que la réservation effectuée pour cette expé retombait exactement sur le même carbet de l’époque ! Je ne me souvenais plus bien du nom de ce gite, qui de toute façon avait changé depuis, donc c’était une réelle et belle surprise que de revenir ici boucler la boucle.

A Saül également nous avons rendez-vous avec un des référents du PAG (Parc Amazonien de Guyane) : Stéphane, qui a eu la gentillesse de nous réceptionner un gros colis de fret envoyé quelques jours plus tôt et que l’on doit récupérer. En effet étant finalement limité à un total de 15kg de bagages par personne dans l’avion, il nous aurait été impossible d’embarquer entre nous 5 les quelques 40 kg de réserve de nourriture, plus les 10 kg de panneaux solaires et batteries, plus les 20 kg de packrafts et pagaies, plus nos 15 kg de couchages personnels (bâche, hamac, moustiquaire, cordelettes, drap et sac de couchage). Sans compter les affaires personnelles (vêtements, toilette perso, matériel électronique), la trousse de secours, le matériel de pêche, l’essence pour le réchaud, les lampes frontales, les machettes, les jumelles, les 2 gros appareils photo, les microphones et le matériel scientifique… Sacré casse-tête chinois qui prendra bientôt fin après avoir fait, défait, refait nos sacs 3 ou 4 fois depuis le début de cette aventure !

Stéphane est à l’image de ces gens de Saül. Souriant, enthousiaste et débordant d’envie de nous offrir l’apéro chez lui, le soir venu, pour qu’on lui raconte un peu plus en détails notre projet. On ne se fait pas prier ! Avec son épouse Isabelle, ils nous reçoivent dans leur charmante maison tropicale en bois, située au pied du grand fromager du village : un arbre émergent spectaculaire en position dominante au dessus du hameau et qui culmine lui-même à plus de 50 m au-dessus de ses propres contreforts. Un véritable géant qui a été classé au patrimoine national comme arbre remarquable. C’est au pied de ce phare que nous passerons une magnifique soirée guyanaise à la lueur d’une ampoule électrique qui, sous la danse des papillons, fera briller les verres de rhum et illuminer nos sourires. 

Isabelle et Stéphane sont pleins d’entrain à écouter notre projet, nos objectifs, notre méthode, notre expérience aussi, eux qui vivent là depuis des décennies. Ils nous fournissent sans retenue tous les conseils de terrain possibles, à quel endroit je pourrais récupérer de l’essence pour le réchaud (denrée rare ici car les ravitaillements sont compliqués), une dernière machette pour Lilie, des produits frais ou encore un quad pour se faire déposer au plus près de la rivière. Nous évitant ainsi d’arpenter à pied les 3 ou 4 km de pistes de latérite longeant l’aérodrome, en plein cagnard et avec plus de 30 kg sur le dos. Ils sont surtout très envieux de notre aventure pour avoir parcouru ce secteur dans le passé. Ils racontent avec des étoiles dans les yeux toutes leurs péripéties vécues. Ils m’expliquent d’ailleurs qu’avant d’arriver dans cette maison ils occupaient un carbet bien plus isolé en forêt, un coin nommé « eaux claires ». J’ai comme un doute en levant les yeux dans mes pensées… Serait-ce là-bas que j’étais aussi parti randonner il y a 20 ans en arrivant à Saül ? Par miracle je retrouve sur mon téléphone une photo argentique d’un album que j’avais scanné et la leur montre. Effectivement c’est exactement là-bas qu’ils vivaient à cette même période ! Une jolie émotion traverse leurs visages et le mien. On ne cesse de se le répéter : la planète est grande mais le monde des hommes est petit. 

Nous discutons de rivières et de chablis, Limonade, Grand Inini, orpaillage et orpailleurs, des rapides et des collines granitiques, de pêche ou encore de raies venimeuses… Ils m’indiquent aussi quelques points clés à retenir que je note sur ma carte. Je suis comblé car je les sens ravis de nous aider à mettre en place les dernières pièces du puzzle. Ils nous confient également leur projet d’effectuer un jour ce même parcours en famille avant leur retraite, mais en saison des pluies, quand les eaux seront hautes, plus larges et où il est alors possible de se déplacer en pirogue à moteur. La seule inconnue qui demeure, même pour eux, c’est la praticabilité de la crique Limonade, si elle n’est pas trop bouchée par les chablis. Logiquement la première partie avait été nettoyée par le Parc m’assure Stéphane. Cela veut dire que les arbres en travers de la rivière avaient été tronçonnés pour dégager le passage. Mais c’était il y a 6 mois. Est-ce que depuis la crique Limonade s’est de nouveau bouchée ou pas ? Ce sera à nous de le découvrir, sur le terrain, machette à la main.

Nos échanges entre passionnés dépassent le seul cadre du projet d’expédition du Grand Inini et l’on s’exalte sur tellement d’autres sujets qu’on ne voit pas l’heure tourner. On conclut cette soirée par de chaleureuses accolades sous les étoiles avant de partir déambuler sur les chemins nocturnes en direction de notre carbet. Il m’aura fallu attendre d’arriver jusqu’ici pour obtenir les plus beaux encouragements et les plus crédibles aussi. Cela me rassure également que mon équipe les reçoive enfin après n’avoir écouté que ma seule parole. 

En effet c’est une constante en expédition : au plus on est éloigné du point de départ, au pire sont les menaces, les craintes, les rejets, les abandons. Et au fur et à mesure que l’on se rapproche du terrain et des gens qui y vivent, les propos de la part des locaux se font plus modérés et votre projet semble tout à coup plus réaliste, voire même attrayant. Même à Cayenne, le spectre de la ville envahit encore les esprits et les soudoie à d’interminables noeuds administratifs et juridiques. Ici, dans ce petit village du bout du monde, en plein coeur de la Guyane, nous sommes enfin sur le terrain et nos interlocuteurs sont les meilleurs connaisseurs de la réalité du quotidien en forêt. Et finalement ce sont eux qui nous affublent des encouragements les plus enthousiastes et les plus convaincants. 

« Bonne balade ! » nous lancera même gaiement Isabelle pour nous dire au revoir. Là en revanche c’était un peu exagéré. Le destin nous montrera que l’expédition sera autrement plus ardue que ce que j’avais moi-même imaginé. Mais cette phrase nous servira souvent de blague entre nous pour désamorcer les tensions les plus dures.

Le départ

On réunit tous nos sacs, chargés des ultimes produits frais achetés ici, notamment les derniers 8 kg de pommes de terre car on n’a pas trouvé d’autres légumes disponibles sur les étals. On va donc manger de la patate sous toutes ses formes ! Heureusement en accompagnement du poisson pêché il y aura aussi du riz, des pâtes, de la semoule de blé et le fameux couac : la semoule de manioc typique d’Amazonie. Lorsqu’on ne pêchera pas on aura les classiques boites de conserves : sardines, thon, corned-beef… Et lorsque tout ceci ne suffira plus, chacun aura sa propre réserve de nourriture lyophilisée évaluée selon ses besoins personnels : énormes pour Yanko, faibles pour moi.

Tout ceci constitue un poids sérieux qu’il est difficile de porter sur le dos, en moyenne 30 kg minimum par personne et tous les sacs ne sont pas assez volumineux pour embarquer cela. Heureusement l’aide du directeur des services techniques de Saül nous permettra d’être acheminés au plus près de la rivière au départ du village. 1h30 de quad environ sera nécessaire pour traverser le village et l’aérodrome sur les pistes brûlées par le soleil jusqu’au lieu-dit « camp des chasseurs », en pleine forêt, juste au bord de la crique Limonade où l’on pourra se mettre à l’eau dès le lendemain. L’arrivée au soir tous ensemble sur ce site, avec le bruit du quad qui s’éloigne, est une source de soulagement et de délivrance intense. Enfin l’expédition commence réellement, enfin on coupe le cordon ombilical.

On ne pouvait pas mieux tomber pour commencer en douceur, ce camp avancé dans la forêt est même un peu aménagé, il dispose d’une ancienne structure bricolée en bois où l’on peut encore accrocher nos hamacs et d’une vieille bâche recouvrant le tout, ce qui nous évitera de déballer les nôtres. Parfait pour mes compagnons qui ont alors le temps de prendre leurs aises avec leur matériel, tester leurs noeuds, ajuster leur moustiquaire en toute sérénité. À peine nos couchages accrochés, une averse tombe fort et nous sommes ravis d’être tous ensemble à l’abri sous la grande bâche à observer sans un mot toute cette forêt lacérée par la pluie qui nous entoure.

Puis on finit de refaire tous nos sacs. Encore une dernière fois puisqu’à partir de maintenant tout notre matériel sera définitivement extrait de nos gros sacs à dos, conditionné par catégories et rangé dans différents sacs étanches à l’intérieur même des boudins gonflables des packrafts. Ce matériel-là ne sera accessible qu’en fin de journée lorsqu’on sortira les bateaux de l’eau sur la terre ferme et qu’on les ouvrira afin d’en sortir ce matériel. Quant à nos sacs à dos vidés et désormais inutiles jusqu’à la fin du périple, ils seront condamnés à rester oubliés au plus profond des boudins des bateaux jusqu’à Maripasoula.

Il convient donc de bien séparer nourriture, matériel de camp, affaires personnelles, matériel électronique… Puis savamment équilibrer les charges dans chaque packraft. Pour Yanko, Lao et moi qui disposons de packrafts avec ces rangements internes, on aura les bateaux les plus chargés et les plus lourds. Et pour Key et Lilie qui n’ont pas la possibilité d’ouvrir l’intérieur de leur embarcation, ils transporteront le reste du matériel dans des bidons étanches entre leurs jambes. C’est plus léger mais plus encombrant aussi, donc plus inconfortable. Notre satisfaction à tous est de savoir que chaque jour qui passera nous allégera d’autant de kilos de nourriture que nous ingurgiterons.

En tout cas le point extrêmement positif pour moi fut le premier coup d’oeil jeté sur la rivière. La tant attendue crique Limonade ! Actuellement en basses eaux je la craignais large mais peu profonde, voire sans assez d’eau pour faire flotter nos bateaux mais au contraire, elle est semblable à un canal étroit mais profond, tout à fait navigable. C’est de bon augure pour la suite.

On célèbre cette première soirée comme il se doit. Pour moi, c’est délivré de tous ces mois, ces semaines, ces journées et ces dernières heures d’efforts et de stress à tout préparer pour enfin parvenir à arriver jusqu’ici. Pour Lao, c’est un repas de baptême amazonien dignement arrosé d’un ti-punch et surtout pour Yanko c’est justement son anniversaire aujourd’hui. En tant que vrai doyen de l’expé, il fête ses 50 ans en Amazonie ! Au camp des chasseurs, au beau milieu de la forêt, on soufflera une bougie chauffe-plat et je suis sûr qu’à partir de demain, il rajeunira. Installés paisiblement dans nos hamacs, la nuit salutaire permettra enfin à chacun de tourner une page et d’écrire désormais celle de notre expédition à tous.

Ambiance sonore paisible du soir au bord de la rivière.

Baptême du feu

Le réveil se fait en douceur, naturellement, au rythme du jour qui se lève et du chant de la forêt qui s’éveille. Tout le monde est impatient d’être sur l’eau. Le petit déjeuner est vite englouti et les affaires efficacement rangées. À 08h00 on est déjà sur nos packrafts, prêt à dévorer la journée.

La navigation démarre fort, en grimpant sur son packraft dans la rivière, Lilie remarque un minuscule serpent liane sur la branche qu’elle tient de la main. Il est inoffensif mais c’est un serpent quand même. On n’a donc pas effectué 5 m que l’on rencontre déjà les habitants des lieux. Chacun commence à pagayer doucement, à découvrir sa nouvelle monture, comment bien s’y installer, ranger ses affaires à portée de main. J’essaie de prendre une photo mentale de mes coéquipiers sur ce beau départ. Ils sont tout propre, il ne manque plus que les traces de plis sur leur chemise. Lilie et Lao sont 2 petits gabarits, blondes aux yeux bleus, avec une chevelure lisse et stricte pour Lilie et avec des mèches bouclées indomptables pour Lao. Key est un jeune grand et fin aux longs cheveux châtains et Yanko, rasé de près aujourd’hui a des traits plus ronds et les cheveux plus grisonnants. Pour la science, j’aurais dû faire la photo « avant / après » l’expédition ! 

Puis, passé les premiers virages les ennuis commencent : les chablis. Ce mot sera largement répété tout au long du récit alors autant bien le définir dès maintenant : non, il ne s’agit pas d’un lot de bouteilles de vin blanc qui flotterait dans la rivière ! Ni même des habitants de la ville éponyme. Un chablis en forêt est un ou plusieurs arbres qui sont tombés et constituent un obstacle au passage. Et plus précisément pour nous sur la rivière, le chablis est un arbre qui poussait sur une berge et qui par l’érosion, le vent ou la chute d’un autre arbre est tombé en travers de cette rivière, obstruant complètement le cours d’eau et donc notre navigation. Ce phénomène naturel est moins handicapant en saison des pluies car les rivières gorgées d’eau sont plus hautes, plus larges et plus puissantes pour mieux déloger ces bouchons végétaux.

Là, le niveau de l’eau est tellement bas que les énormes troncs effondrés dépassent souvent au-dessus de la surface et créent une muraille de plusieurs mètres de branches de hauteur. Et un chablis n’est pas qu’un tas de branches, il entraine avec lui tout un lot de lianes, de ronces, de plantes épiphytes, le tout habité par des chenilles urticantes, des guêpes, des fourmis agressives et parfois, quelques jolies fleurs. L’obstacle se présente souvent comme un mur où il est même difficile de voir à travers pour estimer la largeur de l’obstacle. Il faut souvent grimper dedans à moitié dans l’eau et à moitié dans les branches pour trouver un passage à tailler à la machette. Un véritable chantier ! Je préviens tout le monde de faire attention à la machette et à Key de remettre ses baskets plutôt que de garder les doigts de pieds en éventail. On ne sait pas sur quoi on marche lorsqu’on est dans le chablis. Le groupe libéré du premier chablis et déjà un autre se profile au virage suivant. Le bucheronnage en équilibre dans la rivière s’avère épuisant et très délicat mais c’est surtout les ronces qui nous harcèlent le plus. Pourvues de crochets terrifiants dignes de hameçons à piranhas, il est difficile de ne pas en sortir lacérés et nos mains sont déjà entaillées partout.

Alors qu’avec la machette je tente de libérer un passage de ronces en équilibre sur mon packraft, la lame ripe. Heureusement pas sur moi mais sur le boudin de mon bateau, qu’elle effleure à peine en fin de course. Le boudin pourtant solide explose aussitôt d’une plaie béante de 10 cm et je prends immédiatement l’eau avec les affaires rangées au sec dans le bateau ! De toute urgence je me dirige vers le semblant de berge qu’il y a sur ma droite. Yanko me rejoint et c’est les pieds dans la boue jusqu’aux mollets, encerclés par ces ronces d’un autre monde et des araignées effrayées qui nous courent dessus comme elles peuvent que je m’attelle à stopper l’inondation, sortir toutes les affaires du bateau et tenter la réparation ici vu que je ne peux pas aller ailleurs. Autant dire que ça jette un froid dès le début et l’équipe prend la mesure de la balade… C’est du sérieux et la moindre erreur ne pardonne pas. Key remet déjà ses baskets.

Alors que je sors la colle spéciale du meilleur kit de réparation américain dont nous disposons, je me rends compte que la rustine fournie est déjà enroulée sur elle-même. Elle va être difficile à mettre à plat le temps que la colle prenne. Elle se tord comme un ressort et la colle ne fait pas non plus son effet. J’ai pourtant respecté le protocole avec assiduité et concentration, nettoyé la zone à l’alcool et séché la bâche (heureusement qu’il ne pleut pas !), mais cette satanée colle ne colle réellement pas ! Je me rappelle alors que nos colles fortes chez nous, tout comme nos marqueurs indélébiles, sont bien moins efficaces qu’avant. Certainement dû au fait que les normes sanitaires en France / Europe sont de plus en plus strictes comparés aux US sur ces produits importés. On l‘a tous éprouvé étant jeunes avec nos doigts complètement soudés par de la super glue alors qu’aujourd’hui cette dernière peine à coller du papier sur du plastique et même le tube sèche en quelques jours…

Je me retrouve donc avec une énorme réparation qui glisse sur le plastique du boudin, à l’intérieur comme à l’extérieur. Impossible maintenant de tout enlever, de nettoyer pour tout recommencer ; je tente alors d’ouvrir un autre kit de réparation pour maintenir mon pansement et l’immobiliser. Je fixe ainsi des patchs adhésifs spéciaux qui eux sont pour le coup très efficaces. J’en pose sur tout le pourtour de la réparation afin de la maintenir fixée au boudin, intérieur comme extérieur. Cela fait un énorme pansement. Et je protège le tout avec du scotch américain, mais acheté ici dans une échoppe chinoise. Le scotch est donc lui aussi une pitoyable contrefaçon qui ne colle que sa propre surface adhésive.

Résultat des courses, j’ai passé plus d’une heure dans la boue à gaspiller une quantité exagérée de nos kits de réparation pour un résultat peu convaincant et nous sommes le premier jour. D’ailleurs, à peine je regonfle mon packraft qu’une hernie apparaît sur la réparation. Je ne tente donc pas de finir complètement le gonflage de peur que le boudin s’ouvre à nouveau. Je laisse mon embarcation sous-gonflée, bien plus difficile à manœuvrer et commence à pagayer méticuleusement en essayant d’être le plus doux possible dans cette rivière de brutes. J’espère que d’ici ce soir la pseudo-colle américaine aura fini de sécher pour souder définitivement la rustine. J’arrive auprès de mes collègues qui m’attendaient plus loin sur le bord. Ils sont désabusés, Yanko et Lao m’annoncent que leurs packrafts aussi sont percés ! Heureusement des mini fuites, liées aux piqûres acérées des ronces. Mais il faut également les boucher avec nos patchs (et surtout pas la mauvaise colle). Donc ressortir les différents kits de réparation, poser et ouvrir les boudins des packrafts, sécher les zones concernées et effectuer les réparations. Ce premier jour nous met décidément dans le bain. Key qui espérait balader et contempler, Lilie qui s’attendait à se laisser glisser sur l’eau et voir plein d’animaux… La dure réalité de l’expédition les mine déjà. De mon côté ce sont surtout les kits de réparation largement entamés qui me tourmentent pour la suite à venir.

Mais la leçon ne s’arrête pas là, au fur et à mesure que nous passons de nouveaux chablis la tête la première dans les broussailles amazoniennes, mes compagnons m’annoncent « j’ai perdu ma casquette ! » ; « mes lunettes de soleil sont tombées à l’eau » ; « merde, ma machette a disparu ! » ; « j’ai perdu ma gourde aussi. »… Le bilan de cette première journée est disons-le tout de suite, calamiteux. Mais tout le monde prend au moins la mesure des recommandations sur le fait que la moindre erreur ne pardonne pas lorsqu’on est ainsi isolés et en autonomie. Il faut rester concentré sur ses gestes et méticuleux avec son matériel. Et comme le répète également Key concernant les objets dont nous disposons : 2 = 1 et 1 = 0. Ce que nous avons en double permet donc de palier une perte ou une casse et ce que nous avons juste à l’unité peut disparaître définitivement. Heureusement le matériel essentiel que j’ai prévu est ainsi au minimum doublé : 2 panneaux solaires (que je peux mettre en série), 2 batteries, 2 seringues d’adrénaline en cas de choc anaphylactique, 2 casseroles (une en silicone / métal pour le réchaud, une en alu pour le feu de bois), 3 systèmes de cartographies et même une deuxième balise GPS vu que Key en disposait d’une aussi. Sans compter la frontale de secours, 2 briquets en rab, le surplus indispensable de cordelettes et concernant nos packrafts on a 4 kits de réparation (dont la moitié est maintenant utilisée). Jusqu’ici tout va à peu près bien.

Dans la souffrance on tire notre journée jusqu’à 16h00. C’est le rythme idéal en forêt. Pour notre expédition, voici le programme théorique que j’aurais tant de mal à faire tenir : se lever aux aurores vers 06h00, ranger son bivouac, plier ses affaires et préparer les packrafts, enfin prendre le petit-déjeuner vers 07h30 pour démarrer à 08h00 sur la rivière. Déjeuner sur le pouce vers midi, sur l’eau ou la berge, avec un sachet de lyophilisé froid de manière à éviter de sortir toute la popote des bateaux. Enfin, s’arrêter à 16h00 pour avoir le temps de trouver un emplacement convenable et monter le camp dans la forêt qui s’obscurcit déjà à partir de 17h00. Puis une fois que tout le monde est installé, préparer le repas ainsi que les manips scientifiques avant que la nuit ne tombe vers 18h00. On se couche donc tôt ce qui nous laisse une longue nuit, amplement suffisante pour récupérer.

Mais cette deuxième nuit n’a pas la même saveur. Arrivés au lieu de campement qui me semble le plus opportun, tout le monde est rincé, le matériel aussi. On fait le constat des dégâts : quelques talkie-walkie donnent déjà des signes de fin de vie, un téléphone et une frontale qui coulent de l’eau et toutes les cigarettes des fumeurs sont détrempées. Ce qui provoque chez eux une relative crise d’angoisse qu’ils ne pourront pas étouffer par d’acres et tièdes bouffées blafardes. La perspective d’une expé longue et difficile sans ce réconfort possible poussera même leur addiction à tenter des stratagèmes de séchage de tabac au-dessus du feu, sur la grille du barbecue… À côté de ça on grillera aussi notre premier poisson rapidement pêché pendant l’installation du camp. Un bel aïmara qui, par sa gueule puissante aux crocs acérés, impressionnera les filles qui n’en avaient encore jamais vu auparavant. Au milieu des grands arbres, à la lueur réconfortante des flammes, les sourires se rallumeront en mangeant. L’équipe se détend enfin sous la mélopée des grenouilles et insectes qu’on laissera tranquilles ce soir. À chaque jour suffit sa peine, pas de manip scientifique aujourd’hui. Et puis pour parler comme un géographe, on est encore un peu dans la zone d’influence de Saül. On s’allège du poids d’un citron en se servant une tournée de ti-punch bien méritée.

Ma balise GPS qui peine à capter lorsqu’on est en mouvement sur la rivière ou caché du ciel par les grands arbres finit enfin par m’envoyer une position. Je regarde sur la carte, on n’a fait que 2 km aujourd’hui… On est pourtant toujours dans la partie qui avait été « nettoyée » par les agents du Parc Amazonien de Guyane. C’est vrai, on a vu quelques troncs anciennement tronçonnés dans la rivière. Qu’est-ce que ça va être alors, lorsque l’on va s’enfoncer plus loin dans la Limonade sauvage ? L’équipe, déjà sidérée par la violence de ce baptême du feu, accuse le coup. Il nous reste 200 km à faire, ou plutôt : 198 km. Et pourtant, il ne faut pas se laisser abattre, on peut et on doit continuer. Surtout, on ne peut pas se permettre de faire des pauses dès maintenant, de s’arrêter plusieurs jours au même endroit comme le suggèrent déjà Key ou Lilie. Si l’on prend trop de retard dès le début, sans même savoir quand et comment s’améliorera notre parcours, on perdra un temps précieux qui sera impossible à rattraper. Key se refuse à comprendre cette évidence et tente déjà de retourner d’autres personnes à ses fins. Ça commence bien ! J’use de diplomatie et d’impassibilité pour étouffer sa zizanie dans l’oeuf mais il faudra désormais que je redouble d’attention pour le surveiller. 

Sur le tracé cartographique on peut distinguer 2 milieux naturels distincts : celui de la rivière qui parcourt la forêt galerie, une forêt tunnel souvent entravée par les chablis mais que l’on peut parfois contourner les pieds dans l’eau en hissant nos packrafts entre les branches d’un côté de la rive ou sous le tronc de l’arbre de l’autre côté ; et celui de la rivière qui serpente dans des zones de marais, ouvertes au ciel. Ces zones-là, certainement complètement inondées en saison des pluies, sont ici d’étroits et profonds canaux encadrés par d’épais fouillis végétaux, souvent des ronces ou des bambous acérés. Même s’il y a moins de chablis car moins d’arbres sur les berges, les obstacles sont plus difficiles à franchir puisqu’il est impossible de s’appuyer sur les rives. On doit donc se mettre complètement dans l’eau profonde pour se tailler un passage. La seule certitude que j’ai ce soir, mais qui peine à rassurer mes coéquipiers, est que mathématiquement cette rivière étriquée ne pourra que s’élargir au fur et à mesure de notre avancée et devenir ainsi plus facilement navigable.

Nous allons recevoir sur la crique Limonade 2 affluents importants : d’abord la crique Cariacou sur laquelle on devrait tomber dès demain puis la crique Couleuvre pour après-demain j’espère. Sur la carte ce sont les 2 plus gros affluents de notre rivière jusqu’à sa confluence avec le Grand Inini. Ces criques d’une taille relativement similaire l’une à l’autre permettront, je l’espère, de changer le visage de cette Limonade étroite et si vite obstruée par les chablis, guère gênés par le faible courant. Logiquement donc, notre Limonade ne pourra que grossir et les criques Cariacou puis Couleuvre seront les 2 étapes marquantes du parcours qui me permettront de réévaluer plus favorablement l’estimation de notre avancée. Comme je le rappelais, on a beau être au tout début des 3 semaines prévues, on avance beaucoup plus laborieusement que convenu et il ne faudra surtout pas se mettre en retard dès maintenant au risque de ne pas réussir à rattraper le timing sur le Grand Inini et rater l’avion retour à Maripasoula. 

C’est un peu normal que cet impératif d’avancer coûte que coûte, au moins sur la première partie de l’expé, ne plaise pas à tout le monde. Mais j’avoue que cela m’étonne quand certains reprochent et rejettent cette réalité. Ma définition basique d’une expédition est qu’il s’agit d’un voyage compliqué. Nous y sommes simplement en plein dedans. Peut-être que le manque de nicotine accentue la perspective déplaisante de l’effort continu qu’il faudra fournir ? 

On finit par ranger tranquillement « la cuisine » et on file se coucher, sauf certains qui passeront leurs nerfs à tenter de terminer le séchage des cigarettes détrempées au-dessus des braises ou à déambuler pieds nus dans la forêt par provocation… On mettra la tête de l’aïmara de côté pour s’en servir d’appât pour demain, j’ajoute un peu de riz sec dans la touque du matériel électronique pour tenter d’absorber l’humidité et avec les filles on s’installera dans notre colocation : on a fait un triangle de hamacs, fixés entre 3 arbres. Du coup, le premier qui ronfle a perdu ! Néanmoins la nuit tiède sera profonde dans la forêt et bercée par une pluie soutenue qui arrosera tout le campement mais qui heureusement s’arrêtera pile au petit matin.

C’est un nouveau jour maintenant, on se réveille plein d’entrain mais on se lève timidement quand même. Il faut s’extraire de son cocon douillet pour se lever dans la fraicheur matinale et humide. Remettre ses habits mouillés sans trop grimacer et se motiver pour ranger ses affaires dans cette chambre détrempée. On prend déjà une heure de retard. Les automatismes arriveront vite j’espère et le montage / démontage du camp se fera de plus en plus facilement pour tout le monde. D’autres cependant peinent à avoir le sourire, ils ont laissé leurs cigarettes sur le feu et il a plu dessus toute la nuit.

La journée attaque évidemment par de nouveaux chablis ! On débroussaille, on hisse, on se coince, on tracte, on tombe, on grimpe, on se lacère et on nage entre les branches. Heureusement que cette eau sombre n’est pas trop fraiche. Il ne reste juste que l’éternelle appréhension de se jeter ainsi dedans. On doit en enchainer une bonne dizaine encore ce matin. Yanko souffre avec son bras abîmé mais reste pro-actif quand il s’agit de s’attaquer aux chablis avec moi, ou bien d’aider les autres à passer. Lilie reste focalisée sur le bout de son packraft et ne voit pas plus loin que l’obstacle en cours. Elle se concentre à essayer de ne pas se blesser en tombant incessamment dans les branches ou à ne pas perdre une énième fois sa pagaie. Key et Lao hallucinent sur la violence des obstacles à franchir et refusent, sans vraiment savoir ce qu’il y a à refuser. Surtout Lao qui écope d’un packraft aussi lourdement chargé si ce n’est plus que le mien. Heureusement qu’elle garde le sourire quand elle s’énerve mais je crois qu’elle découvre dans la douleur la différence entre un voyage aventure, qu’elle imaginait peut-être et dans laquelle elle pouvait y trouver des repères, et la véritable expédition que nous traversons. J’espère qu’ils accepteront rapidement que l’on peut tout de même conjuguer effort et contemplation ; qu’ils se défocaliseront sur l’injustice de cette pénibilité pour lever les yeux vers la forêt et profiter d’être là, au bout du monde, en pleine Amazonie. 

De nombreux oiseaux invisibles chantent régulièrement autour de nous et il est difficile de les distinguer à l’oreille tellement ils sont nombreux. Surtout, leurs sifflements sont noyés dans la stridulation continue des cigales qui emplit tout l’espace. Ces hémiptères produisent un vacarme permanent, pas forcément très agréable à l’oreille. Nous, dans l’effort, nous sommes de plus en plus silencieux et le seul bruit qu’on émet est celui du grincement des packrafts qui frottent contre les branches dans l’eau. Nous nous sentons comme enfermés dans ce couloir forestier bruyant avec une seule option : aller de l’avant.

Parfois des blocs granitiques massifs émergent de l’eau et ponctuent le parcours par leurs lignes bombées. Ils ont été polis par l’eau depuis la nuit des temps et ils en imposent lorsque l’on cabote à côté d’eux. Certains passages imposent même le respect tant la nature fait preuve de gigantisme. Des arbres cathédrales immenses viennent tremper leurs contreforts directement dans l’eau. Leurs troncs sont de véritables piliers qui s’élèvent avec puissance vers la frondaison et semblent soutenir toute la canopée. Au milieu du décor magistral papillonnent quelques splendides spécimens, des morphos aux ailes insonores qui flashent le décor d’un bleu électrique. De minuscules chauves-souris qui siestaient blotties les unes contre les autres à l’ombre des roches s’enfuient en silence vers un nouvel abri. Ces coups d’oeil à la fois contemplatifs et observateurs nous donnent toute la dimension fascinante de cet univers : géant et minuscule, bruyant et discret.

L’endroit est parfait pour la pause déjeuner. On se recentre sur notre matériel, notre sac entre les jambes, à l’intérieur notre casse-croute du midi. Les menus sont minimalistes pour moi : pâtes à la provençale qui peut se manger froid, ou taboulé. Simple et efficace. Les autres s’essaient à des plats riches et plus copieux (poulet curry à l’indienne, hachis parmentier…) mais, à mon sens, moins appétissants avec de l’eau froide. Pendant la pause dans cette partie entre-ouverte vers le ciel j’en profite pour refaire un point carto car je guette la jonction de la crique Cariacou qui ne devrait pas être loin. Le GPS fini par capter et m’annonce que nous sommes pile-poil sur la confluence ! Mais alors, le maigre ruisseau d’eau stagnante que je vois là à ma gauche, c’est ça la crique Cariacou ? Je suis assez désabusé. Moi qui m’attendais à voir un beau débit arriver de la forêt et gonfler la Limonade… On va devoir continuer à arpenter notre crique avec toujours aussi peu d’eau et de courant.

Les chablis reprennent de plus belle, chacun les gère à sa manière. Yanko serre les dents, procède par étape et ne dit rien. Lilie gémit, trébuche, se complique souvent la tâche ou se fait aider. Lao passe en force et énumère toute une collection de jurons espagnols et Key désormais torse nu se maintient loin derrière pour faire bande à part, boudant volontairement les règles de sécurité.

Une découverte nous redonne des étoiles dans les yeux, une roche polie dans la rivière affleure de la surface. Elle présente des polissoirs. Ce sont d’esthétiques entailles oblongues d’une bonne trentaine de centimètres de long sculptées dans la roche. Elles sont en fait issues du frottement répété des outils que les amérindiens essayaient d’aiguiser contre la pierre. C’est donc une trace concrète de la vie passée d’une ethnie ici, certainement les « tekos », autrefois appelés les « émerillons ». Ils ont disparu de la région il y a un peu plus de deux siècles. Ils font partis des innombrables peuples premiers d’Amazonie, parfaitement adaptés à leur environnement et maitrisant la pharmacopée locale qui ne leur sera pourtant d’aucun secours face à l’introduction de nos virus qui les décimeront.

Souvent dans la rivière nous avons devant nous un martin-pêcheur qui nous devance. Il se pose toujours sur une branche au-dessus de l’eau et à mesure que l’on s’approche de lui, il volète un peu plus loin. Le cinéma peut durer sur plusieurs cinquantaines de mètres ! Jamais ne lui vient l’idée de simplement nous contourner pour récupérer sa place initiale tandis que nous continuons notre pèlerinage vers l’aval. Ou peut-être attend-il exprès devant nous que nous fassions fuir quelques petits poissons pour les pêcher… La nature nous permet ainsi d’avoir quelques échanges fugaces avec ses émissaires et nous poursuivons notre parcours dans l’ombre de cette immense forêt galerie. Nous glissons timidement sur nos petites embarcations gonflables entre les arbres érigés, immenses, dressés au garde à vous de part et d’autre de l’étroit cours d’eau. Parfois une grosse percée de lumière fend la frondaison et frappe la crique. Elle colore toute la végétation traversée et, parvenue à la surface de la rivière, illumine l’eau qui prend des teintes hâlées d’or et de brun soda. On peut ainsi y voir par transparence et découvrir des myriades de petits poissons blancs argents qui zigzaguent à côté de nous sur la lueur d’un banc de sable roux.

Nous pagayons des heures et avec cet effort notre vision s’intensifie et la forêt devient plus présente, plus belle à nos yeux. Avec l’effort nos sens sont plus en alerte et s’aiguisent. Les sensations sont décuplées. On décèle alors des parfums de miel, de violette ou parfois les odeurs fortes de gibiers. Avec l’effort le corps est en éveil, on ressent mieux la brise d’air sur notre peau, les feuilles là-bas qui bruissent sous le pas d’un animal caché. L’eau dans notre gorge qui nous désaltère lorsqu’on la boit, la main appuyée sur le tronc poli et satiné de l’arbre à passer… Avec l’effort, le corps et l’esprit s’ouvrent ainsi plus facilement au milieu ambiant qui nous entoure. Ça nous rend tellement plus vivant, plus éveillé qu’on en oublie même la pénibilité de l’effort nécessaire pour se sentir légitime ici.

Vers 14h30 dans un large virage de la rivière on tombe sur de belles dalles rocheuses ensoleillées, collées à la rive gauche. L’endroit pratique, dégagé est effectivement très joli et mes équipiers harassés et cabossés sautent déjà de joie à l’idée de poser le camp maintenant sur ce site idéal. Il est pourtant tôt dans l’après-midi, on a démarré tard, mais je vois qu’il faut que je ménage les troupes qui ont encore du mal à trouver leur rythme et me regardent à présent avec des yeux de merlan frit. Je consens à arrêter la journée ici en échange de partir plus tôt demain matin, à 0700 au lieu de 08h00. Tout le monde approuve en bondissant sur les dalles.

On va avoir droit à une belle après-midi au soleil, parfait pour recharger les batteries, qu’elles soient au lithium ou aux hématomes. En faisant une lessive bien méritée dans les rochers on prend le temps de se laver méticuleusement et avec délectation au savon de Marseille. Les écorchures sont ainsi nettoyées par les propriétés antiseptiques naturelles du savon ancestral et le soleil nous sèche enfin la peau. Surtout ici la baignoire semble plus accueillante puisque le fond obscur de la dalle immergée est palpable et rassurant. Cela n’empêchera pas Lilie de glisser encore de tout son long et de collectionner les multiples bleus sur les jambes. Elle ne cesse de faire des maladresses, de ne pas faire attention, de s’embroncher. Au plus elle cumule de bêtises au plus elle stresse et devient encore plus maladroite jusqu’à ce qu’elle décide de ne plus rien faire ni rien toucher. Pas évident de gérer ça par l’encouragement positif quand le matériel est aussi précieux et fragile qu’elle.

J’ai l’impression que notre matériel sort lui aussi de la salle de bain tant il est à son tour bien rangé au soleil, maintenant étalé sur l’entièreté de la grande dalle pour sécher. Tout ça vu de loin ressemble quand même un peu à un amusant vide grenier et dénote avec nos discrets couchages dispersés plus haut sous les grands arbres. Au moins les batteries et les panneaux solaires prennent enfin le temps de sécher complètement avant de s’activer à recharger les lampes frontales qui s’impatientent pour ce soir. Tout autant que la tablette de Lilie qui contient une douzaine de PDF d’identification d’espèces animales et végétales et qui est très sollicitée par la scientifique. Lao, quant à elle, écope désormais du mal classique des photographes d’expédition : la buée sur l’objectif. Problème récurrent, souvent insoluble, on oriente son matériel face au soleil pour tenter d’évaporer ce voile humide.

Ce soir on aura donc l’occasion de rattraper le temps perdu sur les observations et mesures scientifiques qu’on pourra enfin lancer. Le moral aussi semble regagner les troupes, tout le monde s’active à faire plus que monter son propre hamac. Yanko fignole quelques crevaisons tandis que Lao prépare de nouvelles « trappes » pour pêcher. Ces systèmes sont des sortes d’hameçons énormes reliés à un câble métallique type frein de vélo, le tout simplement accroché au bord de l’eau par une corde à une branche ou à une racine. Lilie, remise à neuf, cherche du bois pour le feu pendant que Key s’active à le lancer, mais toujours pieds nus. La discussion semble s’améliorer entre nous 2 alors je ne le coupe pas dans son élan mais ma nouvelle remarque indulgente semble tout juste l’amuser. Il ne se rend décidément pas compte de sa prise de risque inutile. En effet la moindre blessure nous impacterait tous. Car boiteux ou pire, infecté, il deviendrait vite un fardeau très lourd à porter pour tout le groupe. Depuis le départ je répète volontairement ces avertissements devant tout le monde, puis juste devant untel ou untel pour permettre à chacun de rebondir sur le propos et m’aider à faire passer le message à Key afin que je ne sois pas le seul à le faire. Mais comme ce genre de message est désagréable, je constate que les autres bottent sans cesse en touche et détournent le regard. Personne n’ose se mouiller et comme un enfant, l’autre en profite. Ce syndrome de l’autruche est réellement pénible à observer, surtout lorsque que j’essaye de valoriser les compétences et l’importance que chacun a dans notre groupe. Dépassés par la fatigue ou la difficulté de l’aventure, ils me montrent qu’il leur est plus facile et finalement assez supportable d’avoir à suivre comme des moutons plutôt que de prendre eux aussi des responsabilités. Navrant de constater que la gestion d’une simple petite équipe avec un objectif participatif, peut-être idéaliste, me sera d’une épuisante complexité.

Je mets ces tourments de côté et me prépare tout de même à changer complètement de cap si Key continue son insubordination et sa provocation. Hors de question qu’un excès de zèle d’une seule personne saccage l’intégrité morale et physique du groupe. Quoiqu’il en soit on va griller un nouvel aïmara ce soir. Pour le coup je ne me souviens même plus si celui-là avait été pêché au camp précédent ou directement ici. De même que je ne me souviens déjà plus quel jour on est et cela me fait un bien fou ! Enfin la déconnexion fait effet et le dictat du calendrier hebdomadaire disparait. Bien sûr je contrôle avec assiduité notre avancée par rapport au timing, mais en expédition c’est la liberté retrouvée : plus de lundi, de jeudi ou de dimanche. Tous les jours sont les mêmes, du soleil qui se lève le matin et se couche le soir.

Il n’y a que quelques jours que nous sommes partis et pourtant j’ai l’impression que cela fait plus d’une bonne semaine. Je sais d’avance que ma perception du temps évoluera, bientôt ce sera la fin de l’expédition et j’aurais l’impression de ne l’avoir démarré que quelques jours plus tôt. Ainsi le temps fluctue, il prend du retard puis il prend de l’avance. On sait qu’en physique il est élastique et notre cerveau, lui, l’étire dans tous les sens. 

Yanko ayant terminé et étant dispo je lui propose de m’accompagner pour poser le piège photo dans la forêt. On s’écarte un peu du camp. Je cherche un endroit de passage stratégique en repérant les sentes laissées par les animaux et si possible des traces fraiches de pas, de déjections… Il ne faut pas aller trop loin afin que l’odeur du camp et la curiosité leur fasse faire un petit crochet, ni rester trop près sinon la faune n’osera pas s’avancer. Un carrefour de sentes bien nettoyées donc actives convergent vers une zone assez ouverte où je peux fixer le piège au pied d’un arbuste, à 30 cm au-dessus du sol. Yanko m’aide à nettoyer les quelques brindilles et feuilles au premier plan qui pourraient remuer au moindre coup de vent et déclencher intempestivement l’appareil. Le point GPS enregistré, nous regagnons le camp.

Mais là l’ambiance innocente a complètement changé, le ciel est lourd et gris. Key et Lao alertent, la pluie arrive ! Tout le monde se précipite sur la dalle pour ranger le matériel enfin sec, nos minutes sont comptées. On sent l’averse se rapprocher, la luminosité diminue, les couleurs s’estompent, l’air se rafraichit et le bruissement de la forêt sous le déluge se fait déjà entendre. C’est un train qui arrive vite et fort, ce sont plutôt les secondes qui nous sont comptées ! Un souffle d’air puissant précède la pluie, on se le prend comme l’onde de choc initiale d’une explosion. Toutes les branches s’agitent. À peine nous rentrons sous les arbres les bras chargés que c’est le déluge qui s’abat. Des torrents d’eau verticaux nous rincent instantanément et l’on regarde, dépité, le feu avec le poisson cuire dessus se faire littéralement doucher. On n’avait pas mis de bâche pour protéger le foyer… Toutes les bâches étant déjà utilisées par les hamacs. On bricole sous la pluie une protection de fortune avec un poncho que l’on tend au-dessus de cette cuisine où on s’était largement étalés. Récupérer des lianes car il n’y a plus de cordelettes à disposition, rassembler les affaires de la cuisine pour que tout tienne sous le poncho avec le feu, protéger le semblant de bois sec pour continuer la cuisson sans rien casser ni faire tomber n’est pas un exercice aisé. Quelle gageure de rallumer la flamme de l’équipe. Certains semblent abattus, d’autant que je déloge un gros scorpion sous une feuille qui avait trouvé refuge parmi nous. Mais d’autres trouvent la solution dans la mini bouteille de rhum qui nous servira à trinquer au matériel et à la cuisine sauvée. Bien joué ! Il n’y a que nous qui sommes trempés, alors ce n’est pas si grave. Et puis il n’est pas si tard que ça, on a le temps de manger tranquillement et si la pluie cesse on pourra poser le piège lumineux à insectes. Après s’être gavés de poisson grillé en crapaudine, juste arrosé de sel et de citron et dévoré avec les doigts comme il se doit, l’accompagnement d’un court-bouillon pimenté aux pommes de terre et au couac finit de nous remplir la panse.

Il fait nuit noire mais il pleut toujours. Pas possible donc de poser le piège à insectes ni d’effectuer un enregistrement ultra-sonore des chauves-souris qui ne volent pas dans ces conditions. Juste quelques yeux rouges de caïmans curieux viennent nous observer depuis la rivière en contrebas. Heureusement les grenouilles ne se sont pas faites oublier, elles sont de concert ce soir et il est même facile d’en trouver sur l’herbe tout autour de nous. On effectuera nos premières manipulations avec Lilie, enthousiaste. 

Une personne qui attrape et maintient la grenouille pendant que l’autre effectue un test PCR sur la peau de l’amphibien. L’écouvillon stérile utilisé ressemble un peu à ceux qu’on avait connus durant le Covid, mais ici il va nous servir à recueillir un peu de mucus sur la face ventrale, dorsale et latérale de l’animal. Chaque écouvillon est ensuite hermétiquement conservé dans de petits flacons remplis d’une solution de stockage qui permettra de maintenir les traces ADN présentes jusqu’à leur étude en laboratoire à notre retour d’expédition. Là, nous pourrons voir si la présence de chytride (champignon qui décime les populations d’amphibiens à travers le monde) est avérée ou pas. Des données essentielles pour cette vaste région peu ou pas encore échantillonnée. On teste ainsi 2 ou 3 grenouilles différentes et on remplit sur une fiche toutes les données liées à l’heure, la date, la position GPS, le milieu naturel rencontré et les photos des batraciens pour identification. Fin de manip, on va tous se coucher. Il est tôt mais demain on se lève tôt car on a une grosse journée de prévue cette fois-ci ! J’espère doubler la distance sur la rivière pour vite sortir de cette zone rouge dans notre timing.

Dans nos hamacs respectifs, les lampes frontales s’éteignent vite et la pluie semble s’endormir aussi. Je termine d’écrire mon journal de bord sous les derniers gros plocs des gouttes d’eau qui tombent sur ma bâche puis j’écoute la forêt en fermant doucement les yeux. La nuit, sous les arbres d’Amazonie, tous les félins sont gris, les lucioles scintillent et les grenouilles gargouillent. Suspendu dans mon hamac, j’aimerais être insomniaque pour profiter du spectacle.

Une sonnerie peu naturelle me réveille ce matin, c’est l’alarme de ma montre. Retour à la réalité, les songes sont précautionneusement rangés dans le crâne pour la prochaine fois, le corps a besoin de s’étirer. Le réveil est toujours un moment suspendu, où l’on hésite. En hamac c’est encore plus juste, on est véritablement suspendu au-dessus du sol. Pas très haut mais bon, on n’est jamais bien réveillé quand il s’agit de sauter le pas. Une fois en position debout dans mes crocs, le même rituel automatique démarre : aérer mes draps ; enlever mon caleçon et mon tee-shirt mérinos qui me servent de pyjama ; les ranger au fond de mon sac étanche bleu « spécial couchage » accroché sous la bâche. M’habiller en faisant bonne figure avec ma tenue unique de tous les jours qui reste éternellement mouillée et donc toujours très fraiche le matin : boxer mouillé, pantalon de rando rincé, chemise de rando humide, baskets de rando trempées et casquette. À ce niveau-là je ne sens même plus si la casquette est mouillée ou pas. Puis dans cet ordre très précis j’organise le rangement de mon sac étanche bleu : au fond, avec ma tenue du soir sèche composée d’un pantalon souple et ample et d’un tee-shirt manches longues, j’ai posé mon pyjama sec. Par-dessus je range mon drap de coton. Puis j’ajoute ensuite mon sac de couchage en boule. Je décroche mon hamac et sa moustiquaire que je laisse reliés ensemble pour les superposer par-dessus le sac de couchage. Enfin, je décroche ma bâche que je secoue au fur et à mesure. Je la plie de façon à ce que la face humide soit à l’intérieur du pliage et je la range avec les cordelettes par-dessus mon sac de couchage dans ce fameux sac bleu. Je bourre le tout (ça prend du volume) et verrouille la fermeture étanche jusqu’au soir suivant où tout sera enlevé exactement en sens inverse. De cette façon-là je n’ai pas besoin d’étaler mes affaires par terre pour chercher quoique ce soit, risquer de mouiller quelque chose et perdre du temps. D’ailleurs je remarque que personne ne s’est encore levé. Je dois réveiller mes camarades pour les secouer, aujourd’hui on a une grosse journée, il faut qu’on avance !

Heureusement il fait beau. Même si c’est encore l’aube, le ciel pastel est dégagé, la rosée perle sur les brins d’herbe, c’est un tableau qui scintille en douceur. L’équipe a moins de grâce, elle est aussi lente qu’un troupeau de zombis courbaturés. Ils tournent en pyjama autour du réchaud que j’allume pour le petit déj plutôt qu’autour de leur couchage à plier. L’heure de départ est déjà dépassée, je grimace sérieusement en réalisant que tout le monde tire au flanc tous les matins. Yanko et Lao finissent par s’activer et tentent eux aussi de motiver les troupes en répétant leurs appels : « filez-moi vos affaires que je les range dans mon packraft ! ». Key est toujours au lit… 

Les demi-heures se suivent, les zombis errent, je remballe le petit déjeuner pour éviter qu’ils ne tournent encore autour, il est déjà 9h passée ! Je file seul récupérer le piège photo pour me défouler un peu. Suspense… il n’a rien filmé. Je remarque d’ailleurs que ses piles sont déjà vidées alors que l’appareil est censé tenir des mois. Bref, heureusement qu’elles sont rechargeables, je les rechargerais dès la prochaine pause au soleil. Yanko, Lao, heureusement impatients, se mettent à l’eau et naviguent. Lilie est bientôt prête, Key pas du tout. Il reste muet. Je n’ai pas le temps de le secouer que Lao revient sur ses pas, elle a une nouvelle crevaison. Il est maintenant presque 10h00, on a 3h de retard mais cette fuite est trop importante pour la reporter à plus tard. D’autant qu’ici sur la dalle, on est bien plus à l’aise pour faire la réparation maintenant. Elle et moi nous activons pour rouvrir son packraft, vider le matériel sur le rocher, vite retrouver un kit de réparation et des ciseaux pour y découper un patch à coller, le tout en sueur au soleil qui tape déjà. Et on sait que pendant cet énième retard, Yanko en tête sur la rivière est tout seul en train de débroussailler les premiers chablis avec son bras douloureux.

Juste à côté de nous une scène surréaliste : Key encore juste vêtu d’un slip, ses affaires toujours étalées sur la roche, s’allonge silencieusement pour fumer une cigarette. Je crois halluciner ! Mais qu’est-ce que cet adolescent fout dans cette expédition ?! Je suis en train de bouillir, Lao aussi. Elle voit que je suis en train d’enrager pour de bon et me glisse de ne rien faire, qu’elle ira elle-même lui parler. Je n’en attendais pas moins, que quelqu’un se rende enfin compte que cette attitude puérile et séditieuse est choquante et hautement néfaste en expé. D’autant qu’elle se sent particulièrement responsable de m’avoir recommandé son ami pour ce projet et qu’elle-même ne le reconnait plus. Sans adresser un regard à Key, de toute façon il fait la sieste, je file rejoindre Yanko pour lui prêter main forte. Je me défoule sur les pagaies et avance fortement. J’entends dans le ciel de puissants cris rauques et criards. Ce sont des aras qui volent au-dessus de nos têtes, ils hurlent à ma place.

Au final nous avons peu de chablis ce matin mais ils sont particulièrement touffus car c’est vraiment toute la ramure de l’arbre qui est dans l’eau. Peu de grosses et solides branches donc. En revanche ce sont des foisonnements de branchages inextricables, à moitié immergées dans la rivière, très feuillues et souples. De sorte qu’il est tellement compliqué de grimper dessus pour tailler un passage. À un moment donné où je parviens à trouver mon équilibre pour enjamber, à moitié immergé, une grosse branche et passer de l’autre côté du chablis, je tombe sur un gros aïmara en affût juste à la surface de l’eau. J’allais lui poser le pied dessus ! Ça l’aurait certainement fait fuir mais on ne sait jamais, un coup de croc de sa part m’aurait facilement arraché la semelle de la chaussure et un morceau de viande avec…
Lorsque l’on peut ensuite naviguer sans entrave, notre regard se balade souvent sur la berge à la recherche de quelque chose d’animalier. Mais la plupart du temps on reste bredouille et on regarde à nouveau la route. Puis, parfois, on se fait surprendre par un gros plouf dans l’eau : un caïman camouflé dans la boue qui prend une fuite affolée dans la rivière ou un iguane dans les branches, apeuré par notre passage qui, lui aussi se jette frénétiquement dans l’eau brune. C’est toujours frustrant car le premier d’entre nous a peut-être la chance de voir quelque chose, possiblement le deuxième, mais pas plus. De toute façon l’ordre du groupe varie naturellement au fur à mesure des obstacles que l’on franchit. Je reprends juste la tête lors des passages délicats où il faut aller voir en premier. Mais certains regards restent moins expérimentés comme celui de Lilie, novice en Amazonie, qui peine à regarder au bon endroit ou Lao qui peste surtout car elle n’a jamais le temps de regarder et de sortir l’appareil photo. Yanko lui s’améliore considérablement à ce niveau-là et trouve pas mal d’animaux. Quant à Key, il ferme encore la marche, allongé dans son bateau, chemise ouverte les pieds nus en éventail. Parfois il s’investit dans le débroussaillage mais souvent il arrive après la bataille.

Un autre chablis mémorable de la journée sera de cette même configuration, avec d’innombrables rameaux flexibles plongés dans l’eau. Un fouillis végétal énorme et couvert de fourmis où l’on devra s’y mettre à plusieurs pour tailler à la machette une galerie à l’intérieur afin d’y faire passer les packrafts. C’est Yanko et moi qui jouons les acrobates en suspension dans la charpente de cet arbre couché. Je grimpe jusqu’à l’autre côté pour ne pas que l’on se gêne avec nos machettes, mais je trébuche plusieurs fois dans l’eau. Je tente de garder ma lame entre mes dents mais même avec 2 pieds et 2 mains libres ça ne suffit toujours pas pour se maintenir en équilibre ici. Et je finis par faire tomber ma machette dans la rivière ! Hors de question de la perdre, c’est une des dernières qu’il nous reste et elle est juste à ma verticale dans l’eau. On passera le temps qu’il faudra mais il faut absolument la retrouver ! Ni une ni deux je plonge dans l’entrelacs de branches et j’essaie de décrypter le fond de la rivière en tâtonnant le terrain de mes mains et de mes pieds. C’est un gigantesque tas de mikados emmêlés dans lequel on ne distingue rien. Attention surtout à ne pas rester coincé. J’essaye tout de même d’ouvrir les yeux juste pour voir et effectivement j’ai l’impression d’être 1000 fois plus myope que je ne le suis déjà. Par contre c’est étonnamment lumineux sous l’eau, même si je ne discerne que de vagues ombres ocres entre de belles nappes de lumières dorées qui peignent ce décor. C’est même assez joli à vrai dire, mais inutile d’espérer voir ainsi la machette. Ce n’est qu’au toucher qu’on la retrouvera, en essayant de ne pas penser à ce qu’on pourrait toucher d’autrement plus dangereux ! En surface je temporise un peu pour rallonger mes apnées, les autres me rejoignent à l’exercice. On est tous serrés dans 2 m² à peine, l’eau n’est pas très profonde, 2 m tout au plus et la machette est lourde, elle n’a pas pu aller bien loin. Il nous faudra tout de même un bon quart d’heure entre nous tous à plonger dans ce mouchoir de poche pour enfin la retrouver. Hourra !

Une autre émotion grisante sera celle de notre premier rapide. J’entends le tumulte au loin des eaux qui bouillonnent dans la forêt. Je m’avance et pars en éclaireur sur la berge pour repérer le tracé du rapide tandis que les autres stationnent juste à l’entrée du saut. Il est parfait, facile, ludique, très joli même, cet exercice va nous faire le plus grand bien. Je fais venir Lao qui en plus d’être photographe encadre dans les Pyrénées des activités d’eau vive. Elle va donc pouvoir prendre le lead et aider ceux qui n’ont jamais pratiqué. Mais à peine je reviens sur mes pas pour la chercher qu’elle est déjà plongée dans l’eau pour tenter de récupérer la pagaie de Lilie la maladroite, dans le courant… Heureusement qu’elle nage bien pour ne pas se faire embarquer dans le saut. Sans pagaie Lilie n’aurait rien pu faire. Elle s’excuse platement, encore une fois. Lao prend ses positions en bas du rapide et nous prévient par coups de sifflet pour qu’on se lance un à un dans le toboggan naturel. Je savoure enfin de voir tout le monde se régaler, sourire et même rire. Ces étoiles dans les yeux m’avaient manqué.

Quelques chablis plus tard, dans une forêt particulièrement fermée, sombre et imposante, on arrive enfin au niveau de la crique Couleuvre. Dernière chance de recevoir un apport d’eau significatif pour permettre à notre crique Limonade de grossir et d’être moins sujette aux blocages récurrents des chablis. Mais cette fois encore, la crique n’est qu’un maigre ruisseau d’eau stagnante, guère convaincant. Je cache mon abattement pour ne pas contaminer les autres car je conclus que la suite de notre progression ne va pas pouvoir s’améliorer de sitôt… On poursuit cette longue traversée tout relative, quelques centaines de mètres sans trop de chablis. Mais nous glissons plus sereinement dans cette forêt galerie aux milles nuances de vert. Pourtant je remarque que le cours d’eau a un peu gonflé depuis le tout début. De 10 % ou 15 % peut-être ? D’où provient cette eau si ce n’est pas des affluents ? Je ne remarque aucun ruissellement non plus, en dehors de la pluie qui peut-être, à elle seule, doit expliquer cela… 

Nous pagayons lentement en reprenant notre souffle. On ouvre notre regard et on étire un peu nos membres coincés par la position accroupie de pagayeur. Au-dessus de nos têtes, toujours cette dentelle végétale qui constitue la frondaison et ne cesse de m’émerveiller. La cime des arbres forme comme des mains protectrices qui nous enveloppent et nous abritent de l’immense monde extérieur, du ciel et des oiseaux prédateurs, et peut-être même d’une quelconque envie de nous envoler d’ici. C’est en penchant la tête en arrière et en se laissant doucement glisser dans le courant que l’on peut contempler 40 m au-dessus de nous la myriade de feuilles scintillantes, encore mouillées de la dernière pluie, qui jouent avec les rayons du soleil. Certaines branches oscillent sous le vent alors qu’on ne sent pas le moindre souffle d’air ici-bas. L’esprit s’évade, s’apaise et le temps s’allonge enfin. Puis soudain j’entends les arbres s’agiter à ma gauche. Je repère immédiatement des grandes ombres passer à mi-hauteur dans les arbres. Ce sont des singes hurleurs. Ils sont 4 ou 5 individus à animer soudainement la forêt et on aura le temps d’observer leur silhouette massive et puissante passer dans les branches.

Saut "caïman"

On s’approche désormais d’un gros saut d’où le grondement progressif de l’eau réveille notre attention. Il semble énorme cette fois-ci alors par précaution on s’arrête bien avant en s’appuyant contre la berge. J’attache avec une corde mon packraft pour aller voir tandis que d’autres s’agrippent aux branches en m’attendant. Je pars en éclaireur avec Lao. On grimpe sur de gros troncs couchés s’étrécissant en équilibre au-dessus des rapides. Ainsi perchés on a la meilleure vue sur l’ensemble de la rivière. Elle se divise déjà en plusieurs torrents. Mais effectivement, du début à la fin de ce saut, l’eau dégringole avec puissance et fracas dans un chaos de rochers où l’on n’aurait pas le temps d’effectuer un seul virage en packraft qu’on serait déjà écrasés contre les blocs de granit. C’est trop engagé ici et l’accident n’est pas permis. Même Lao en tant que monitrice de rafting n’est pas à l’aise, qui plus est, en équilibre sur ces troncs tremblants au dessus des remous.

On retourne vers les autres pour chercher un passage alternatif à travers la forêt où l’on pourrait trainer les bateaux à terre en taillant un sentier et ainsi contourner le rapide. Ce serait long, épuisant, mais possible. Je m’engage sur la rive gauche pour voir si ça passe à travers la végétation tandis que Lao et Key partent en repérage sur la rive droite en remontant un bras de la rivière en amont. Il faut rester vigilants car nos radios abimées par l’eau fonctionnent mal et le grondement assourdissant du rapide pourrait cacher tout appel ou coup de sifflet. Je fais vite le tour dans cette partie de la forêt et réalise qu’ici on pourra traverser sans trop de difficultés. Je reviens sur mes pas pour retrouver Yanko et Lilie qui nous attendaient pour savoir par où on allait passer, mais Lao et Key ne sont toujours pas revenus. 

L’attente fut favorable car c’est plein d’entrain qu’ils arrivent quelques minutes plus tard, assurés d’avoir trouvé un passage possible en packraft qu’on ne pouvait pas déceler depuis nos arbres perchés au-dessus du saut. Et qui plus est, il y a aussi un emplacement de choix pour poser le camp avec une belle dalle rocheuse entre les arbres. Il faut juste faire attention à ne pas glisser sur les dalles immergées dans l’eau précise Lao. En se séparant de Key durant leur repérage, elle a malencontreusement glissé dans le rapide et s’est retrouvée projetée dans le courant vers un gros caïman qu’elle n’avait pas vu et qui a lui-même maladroitement glissé de frayeur dans les tourbillons entre les roches dont il s’extraira avec fureur et une frousse réciproque.

Il est pourtant encore tôt dans l’après-midi, on pourrait continuer d’avancer une bonne heure plutôt que s’arrêter maintenant. Surtout avec le retard qu’on a pris ce matin à cause de Key. Mais je ne veux pas couper leur prise d’initiative réussie et la belle motivation qu’ils ont maintenant. On part donc s’installer vers ce saut « caïman », annonciateur de réconfort et de nouveau départ. Du moins c’est ce que l’on espérait…

Effectivement le site est superbe, une belle dalle rocheuse à 2 étages affleure de la rivière et est suffisamment large pour accueillir une percée de lumière entre les arbres. On peut donc étaler au propre le matos électronique à charger et les vêtements à sécher et on installe confortablement le foyer entre des rochers tabourets à proximité de l’eau. On est bien ici. Qui aurait cru que le luxe en forêt était de trouver des pierres plates au bord de l’eau. Les rapides couvrent notre bruit ce qui nous permet aussi de parler normalement, de rire ou de s’appeler sans avoir l’impression de gêner la nature. Sur un saut, on peut donc se laver dans la rivière depuis les rochers propres sans avoir à marcher pieds nus dans la boue, on peut profiter du soleil couchant et voir les étoiles la nuit. On peut aussi tout simplement avoir la délicieuse impression de bénéficier d’une terrasse à la maison. Tout le monde s’étale à proximité pour chercher un peu plus haut ses 2 arbres idéaux pour son hamac. Et comme on a encore beaucoup de lourdes pommes de terre à manger et qu’on a le temps de les cuisiner, je propose alors de faire des frites pour fêter ça. Un ti-punch avec cacahuètes en apéro finira de nous ravir, en compagnie d’une belle anguille électrique cachée dans une flaque et attirée par l’agitation.

On se détend après ce bon repas qui nous rappelle le pays, assis sur un tapis – fabriqué par les filles – de magnifiques feuilles vertes de phenakospermum guyannense. Ces feuilles longilignes démesurées ont la forme d’immenses plumes flashy de perroquets. Elles sont similaires aux grandes feuilles de l’arbre du voyageur malgache. Mais ça n’intéressera pas plus l’anguille qui cache désormais le bout de son nez sous les rochers. 

La lumière se dore déjà alors j’accroche le piège lumineux à insectes en prévision de son utilisation pour ce soir. Puis, vers 18h00, c’est au tour des premières étoiles de ponctuer la voute céleste entrouverte au-dessus de nos têtes. Bientôt la nuit tombe et c’est toute la voie lactée qui s’affiche de manière féérique. Comme à mon habitude je m’en émerveille, parle astronomie et montre les constellations connues chez nous mais inclinée de presque 90° ici, sous l’équateur. Contrairement à notre France hexagonale on n’entend pas le silence des étoiles en Amazonie. Ici, le jour comme la nuit, tout croasse, siffle, chante, craille, stridule, hulule et ce vacarme naturel nous enveloppe constamment. On s’y habitue, parfois on s’en émoi et on s’y attache. Yanko nous précise qu’une personne souffrant d’acouphènes chez nous oublierait vite son handicap ici ! Solution à retenir.

Le spectacle continue : on vient d’allumer le piège lumineux. 

Des insectes, tous plus surprenants les uns que les autres, débarquent comme par magie sous nos yeux sans cesse ébahis. Sauterelles, mantes, cigales, ou papillons de nuit se rencontrent en nombre et se mêlent, à découvert, sur le drap blanc. Stupéfiant, c’est comme si l’ultra-violet hypnotique des LED avait ensorcelé les insectes pour les attirer ici, à faire une trêve sur le carré de tissu suspendu. 

Des délicates mantes feuilles froissées aux papillons avec des appendices plumés surréalistes, en passant par des guêpes blanches et filiformes ou encore des membracides fluo, compactes et cornées ; nous sommes fascinés par la découverte de ces véritables chefs-d’oeuvre de l’évolution d’une nature minuscule. Nous pouvons à notre aise photographier ces micro-personnages de science-fiction savamment cachés derrière leur mimétisme homochromique et homomorphique. Sur le drap blanc, ils nous dévoilent tous les secrets de camouflage de leurs exubérants exosquelettes. Ce qui est sûr c’est que ce mini monde-là n’a rien à envier à la beauté et à la diversité de celui des plus grands.

Les yeux remplis, nos regards se soulèvent une dernière fois vers les étoiles avec les contractions des bâillements qui traduisent un « je vais aller me coucher ». Mais Lao qui se lave les dents à la rivière, là où elle avait failli glisser sur un caïman, nous interpelle. Le reptile est toujours là, en plein milieu des roches arrosées, figé dans l’obscurité de cette rivière turbulente. Avec le vacarme du rapide et grâce à l’éblouissement provoqué par nos lampes frontales, nous pouvons discrètement nous approcher du bord pour observer, en toute sécurité, ce géant d’écailles qui guette immobile, les poissons dans les remous du rapide. 

Cet énorme spécimen avec sa gueule terriblement ouverte, érigée de longues dents blanches telle une rangée de poignards d’ivoires ressemble à un caïman à lunettes. Il mesure facilement 1 m 50 pour probablement une bonne trentaine de kilo de muscles. Lao en tremble un peu en photographiant leurs retrouvailles… On reste de nombreuses minutes à l’observer, le photographier, le filmer et c’est épatant de voir l’impassibilité de l’animal dans le courant, il semble presque faux. C’est bien crevés mais rassasiés de toutes ces images dans nos têtes qu’on part enfin se glisser dans nos hamacs pour récupérer un max de cette longue journée.

« Mais ça, c’était avant le drame bien entendu ». Vers 22h00 Key se lance solo dans une bêtise qui nous coûtera cher à tous. Conscient de l’erreur qu’il vient de commettre, il s’avance prudemment vers moi en m’annonçant que j’allais tout bonnement le traiter de connard… Il se maintient le bras droit, en sang. Il est allé se faire croquer par le caïman ! 

Effectivement je ne me fais pas prier et il me reprend même de bon coeur en s’insultant lui-même à voix haute. Et là je suis face à 2 personnes : 

un gamin qui, shooté par son adrénaline a voulu jouer à attraper un gros caïman d’1 m 50 à mains nus avec visiblement juste une cordelette, sans raison finale que d’assouvir une excitation égoïste, dangereuse et même prohibée dans ce genre d’expédition. 

Et une victime, avec de multiples plaies ouvertes, profondes et infectieuses à soigner, de nuit en pleine forêt amazonienne.

Je prends sur moi pour m’occuper de l’urgence à traiter en priorité, stopper l’hémorragie d’une veine sectionnée, vérifier si la sensibilité et la motricité de sa main sont toujours fonctionnelles et évidemment nettoyer les plaies. Mais je n’en pense pas moins. Dans ma tête défilent les scénarios qui s’imposent et changent désormais complètement le cours de l’expé : accident trop grave – évacuation nécessaire – evasan par hélico – expédition qui perd un membre de son équipe – risque que le groupe s’effondre – et les répercussions personnelles sur moi en tant que responsable de cette expédition. Tout ça à cause d’une connerie, la connerie de trop de Key !

De son côté les remords l’envahissent et il insiste pour que je le recouse afin qu’il puisse continuer l’expé avec nous, qu’on oublie tout ça et que demain soit un autre jour. Impossible. De toute façon mon kit de suture n’est pas suffisant pour l’ampleur de ses plaies. Surtout elles ne cicatriseraient jamais dans le quotidien des chablis que l’on doit gravir et des paquets de ronces à traverser les uns à la suite des autres, le plus souvent à moitié immergés dans l’eau. Les plaies impossibles à refermer correctement s’infecteront irrémédiablement et la situation s’aggravera nécessairement. Je décide donc d’activer la balise de détresse pour espérer avoir un hélico dès le lendemain matin pour une évacuation vers l’hôpital. La Guyane est une amazonie « facile » en raison de la présence des secours français sur tout le territoire, alors autant ne pas aggraver bêtement la situation et permettre à Key de se faire soigner vite et bien. Je nettoie donc méticuleusement son bras et sa main, le rase largement autour des plaies afin de pouvoir les refermer dans un premier temps avec des steri-strip (bandelettes de sutures adhésives) et lui administre un antibiotique et un antalgique. Inutile de le recoudre, il arrivera à l’hôpital dans quelques heures et sera bien mieux recousu là-bas qu’ici.

On aide Key, désormais handicapé, à ranger ses affaires pour qu’il soit prêt dès l’arrivée de l’hélico, on l’espère dès demain matin quand il fera jour. Mais tout ne rentre pas dans son sac à dos et il doit nous laisser une bonne partie de ses affaires ici. Notre chargement déjà lourd à supporter s’alourdira encore plus tandis que nous perdons un membre de l’équipe. Cette perspective pèse beaucoup sur le moral des troupes mais d’un autre côté on récupèrera un packraft non percé et sa pagaie en secours ce qui me rassure pour la suite. Il nous lègue aussi son stock personnel de repas lyophilisés. Pour le coup ce dernier point ravi l’assemblée.

Il est minuit passé, l’équipe commence à se réduire au fur et à mesure. Ne reste bientôt plus que Lao qui s’éteint progressivement mais qui tient à rester présente pour le jeune Key qu’elle avait embarqué dans cette aventure. Quant à moi je continue à discuter avec notre blessé shooté par les médocs et le contre-coup de l’accident tout en répondant aux questions des secours sur la balise GPS. Je suis justement soulagé de voir qu’à présent elle fonctionne parfaitement cette balise ! C’est certainement dû au fait qu’on n’est plus en mouvement sur la rivière et que la percée entre les arbres ici doit mieux laisser passer les signaux par satellites. J’ai donc la confirmation que les secours sont activés et qu’un hélicoptère viendra récupérer Key au point précis du GPS. Il est désormais 03h00 du matin, tout le monde est maintenant couché. Avant de les rejoindre je termine d’attacher les affaires en prévision de l’hélico qui risquera de déplumer la zone demain. 

1h ou 2 plus tard j’entends un bourdonnement sourd qui m’éveille et je vois à travers ma moustiquaire la frontale de Key qui s’active également. L’hélicoptère est en approche en pleine nuit ! 

Le temps de rebrancher mon cerveau et la machine est déjà au-dessus de nos têtes dans un vacarme assourdissant, à tourner en rond à la recherche d’un endroit où se poser. Branle-bas de combat, je descends à toute vitesse vers la rivière avec ma grosse frontale pour éclairer au mieux la zone depuis le sol et aider le pilote à voir où l’on se situe. Mais l’engin en vol statique à 50 m au-dessus de notre camp secoue violemment toute la forêt de la tête aux pieds. Ce sont d’énormes branches qui s’arrachent et nous tombent dessus, nos bâches se déchirent, des projectiles de toutes sortes nous fouettent le visage et je prie pour que des serpents arboricoles terrifiés ne nous tombent pas dessus non plus. Le risque du sur-accident est réel. Heureusement certains restent dans la forêt, à distance de l’intervention tandis que Yanko et moi nous nous attelons à aider Key à se préparer. De toute évidence l’hélicoptère ne peut pas se poser ici, il n’y a qu’une petite percée dans la canopée d’où il faudra nécessairement réaliser un hélitreuillage. La scène est surréaliste, les gros projecteurs accusateurs de l’hélicoptère fixent Key, seul et tremblotant sur la dalle rocheuse, attendant son sort. Alors que partout autour le son mécanique du rotor déchire la nuit et met en mouvement toute la forêt dans des jeux d’ombres et de lumières gigantesques. À côté les packrafts, que j’avais heureusement attachés, valdinguent comme des poupées autour de leur amarrage. En revanche tout ce que je n’avais pas pu fixer en pensant le ranger au petit matin – vêtements qui sèchent, nourriture, vaisselle… – tout cela disparait subitement dans les bourrasques et se disperse dans le noir, englouti par la forêt, ou par les torrents, suivant la malchance. 

Un pompier suspendu à un filin apparait soudainement au-dessus de la dalle. Il se fait descendre par l’hélico pour récupérer la victime. En souvenir de nos interventions respectives avec Yanko en tant que pompiers également, on avoue envier un peu cette « inter » hors norme. Je me rapproche du pompier guyanais qui a à peine les pieds posés au sol. Il m’explique tant bien que mal dans ce vacarme qu’ils arrivent directement de Cayenne. Ils ont volé pendant 1h, de nuit, au-dessus de la forêt pour venir jusqu’ici. Faute de marge de carburant pour le retour les secondes sont maintenant comptées et ils ne peuvent pas rester plus longtemps. Key se joint au secouriste qui le harnache dans un baudrier contre lui et déjà les 2 hommes sont hissés vers la machine.

Ici-bas, dans la forêt obscure et agitée, nous finissons abasourdis par le bruit infernal du rotor qui emplit l’espace, par les flashs de positionnement stroboscopiques rouges et verts de l’engin et par son énorme faisceau lumineux blanc qui nous scrute d’en haut, les émotions sont à leur comble. Et comme lorsque le cerveau se prend un choc, l’esprit étourdi refuse la brutalité du réel. Il étouffe les bruits, ralentit le temps et immobilise le corps. Sonnés et figés sur les roches, nous regardons alors s’élever dans le ciel noir Key et le pompier, comme aspirés par un vaisseau spatial lumineux. La scène me rappelle exactement le vieux film « Rencontre du 3e type ».

L’hélicoptère s’en va ainsi dans le noir de la nuit. Le bourdonnement reste encore présent dans mes oreilles. Hébétés au milieu de cette nature traumatisée, nous titubons en direction de nos hamacs. Essayons de nous rendormir un peu.

--- le livre ---

Vous voulez découvrir la suite de cette histoire rocambolesque ?

Voilà ci-dessous quels seront les prochains chapitres du livre que je suis en train de finaliser.

Vous pouvez dès à présent précommander ce récit d’expédition en m’envoyant un petit message ici :

contact@philippemistral.com

Un nouveau départ

le roi de l'Amazonie

à bout de souffle

la lumière au bout du tunnel

saut emerillon, un autre paradis

frayeur chez les orpailleurs

les traces du puma

un chat brésilien dans la jungle

l'effondrement de Lilie

dans les montagnes de bellevue

invasion de garimpeiros

Surinam en vue

L'arrivée

Bilan de l'Expédition

Le mot de la fin

Je pensais en avoir fini avec cette aventure mais voilà qu’un dernier petit signe m’indique que la boucle se boucle ici aussi, en atterrissant de nouveau à l’aéroport de Cayenne.

Nous sortons du grand hall climatisé pour attendre la voiture qui doit nous ramener à Cayenne récupérer des affaires avant le vol de demain pour Paris. Là, à l’extérieur, je capte un détail auquel je n’avais guère prêté attention à notre arrivée sur le sol guyanais, 3 semaines plus tôt. Sur l’imposant mémorial de la figure emblématique locale Félix Eboué, érigé face à nous au milieu de la foule, est écrit en lettres noires cette citation qui colle tout à fait à mon fardeau de chef d’expédition. Lao la remarque aussi et me fait un clin d’oeil : 

« Jouer le jeu c’est savoir prendre ses responsabilités et assumer les initiatives, quand les circonstances veulent que l’on soit seul à les endosser ».

événements majeurs sur le parcours

Maripasoula
Fin de
l'expédition
km 180
orpailleurs
dans le camp
de base
km 100
entrée dans
les montagnes
de l'inini
km 30
1er contact avec les orpailleurs
km 25
Rencontre
avec 1 jaguar
km 20
Arrivée sur le grand inini
km 15
rencontre
avec 2 jaguars
km 10
accident
de key
km 3
polissoirs amérindiens
SAül
départ de l'expédition

Observations faunistiques remarquables

  • 3 jaguars (!)
  • 1 jaguarondi (peut-être)
  • 1 tapir
  • 1 loutre géante
  • capibaras (multiples) 
  • 1 daguet rouge
  • 1 agouti
  • singes hurleurs (multiples)
  • singes attelles (multiples)
  • capuçins (multiples)
  • saïmaris (multiples)
  • 1 saki (peut-être)
  • buses (multiples)
  • hérons (multiples)
  • urubus tête jaune, noire (multiples)
  • 1 serpent liane
  • caïmans à lunette (multiples)
  • 2 caïmans rouge (ou gris)
  • iguanes (multiples)
  • 1 anguille électrique
  • raies d’eau douce (multiples)
  • aïmaras (multiples)
  • poissons chats (multiples)

GALERIE MEDIAS

Galerie de sons

Ambiance sonore paisible du soir au bord de la rivière.

Ambiance sonore en journée, traversée de chablis au cri du paypayo.

Ambiance sonore en journée, traversée de chablis avec le chant des cigales d’Amazonie.

Ambiance sonore impressionnante du soir en compagnie des singes hurleurs.

PARTENAIRES

 

Autofinancé en majeure partie, le budget total du projet a pu être bouclé grâce à la générosité de quelques donateurs privés qui nous ont fait confiance et que je remercie ici très chaleureusement.